Au risque de se comporter comme le critique Sainte-Beuve, qui puisait dans la vie réelle des auteurs et dans leur biographie le sens de leurs œuvres, il est tentant de voir, dans la liaison entre Honoré de Balzac et madame Hanska, qu’il finira par épouser après 16 ans d’attente, une analogie frappante avec le cœur du roman La Fille aux yeux d’or. Balzac met d’abord des mots dans sa relation avec la belle russe. Ewelina Hańska était une aristocrate polonaise, mariée au riche propriétaire Wenceslas Hański, vivant dans ce qui est aujourd'hui l'Ukraine. Elle admirait les œuvres de Balzac et lui écrivit une lettre anonyme pour exprimer son admiration, signant sous le pseudonyme de "L'Étrangère". En 1832, Madame Hanska lui écrit une première lettre dans laquelle elle discute de ses écrits, notamment de son œuvre La Peau de chagrin. Elle ne dévoile pas immédiatement son identité, mais cette première lettre suscite un vif intérêt chez Balzac, qui était déjà célèbre pour ses romans. Leur correspondance prend rapidement un ton plus intime, et Balzac tombe amoureux de cette mystérieuse admiratrice et lui déclare son amour dès la troisième lettre, alors qu’il ne connaît ni son âge, ni son apparence. Ce n'est qu'après plusieurs échanges de lettres que Madame Hanska révèle son identité.
Le mystère est donc au centre de la fascination exercée par les femmes. La Fille aux yeux d'or raconte l'histoire de Henri de Marsay, un jeune dandy parisien qui tombe amoureux de Paquita Valdès, une mystérieuse et belle jeune femme aux yeux dorés. Paquita, retenue prisonnière par sa maîtresse, la Marquise de San-Réal, entame une liaison passionnée avec Henri, qui ignore l'identité de son rival. Alors que leur relation s'intensifie, Henri découvre que sa rivale est en réalité la Marquise elle-même, amoureuse de Paquita. Consumé par la jalousie et la trahison, Henri échafaude des plans pour la conquérir, mais avant qu'il ne puisse agir, la Marquise tue Paquita dans un accès de fureur. Le récit expose les passions destructrices, les manipulations et la critique de la société parisienne décadente du XIXe siècle.
La cristallisation amoureuse se produit chez Balzac à la condition d’un trouble de l’identité et d’un objet du désir qui échappe à la conquête. Paquita, comme madame Hanska, femme chimérique représente l'objet du désir éternel et inatteignable pour le héros, Marsay. Cette quête sans fin est une métaphore de l'aspiration humaine vers un idéal toujours hors de portée, symbolisant ainsi la frustration et le désenchantement face à l'existence. L’irréalité et l'évanescence conditionne un amour d’autant plus complet qu’il ne se heurte pas à la réalité.
Paquita reste un fantasme projectif donc sans défauts. Le féminin exemplaire met en évidence la construction sociale de la féminité, où la femme est souvent réduite à un idéal beauté, un fantasme masculin. La femme chimérique est ainsi une critique de cette objectification de la femme et de la vision réductrice qu'en ont les hommes. La recherche effrénée de Marsay pour identifier puis retenir
La femme chimérique est une critique de la bourgeoisie de l'époque, qui valorise l'apparence, le paraître et la recherche du plaisir immédiat au détriment des valeurs plus profondes. Les relations amoureuses dans le roman sont souvent superficielles et fondées sur l'illusion. La femme chimérique est une allégorie de cette superficialité, mettant en lumière l'incapacité des personnages à établir des liens authentiques.
La femme chimérique est aussi une manifestation de l'inconscient de Marsay, symbolisant ses désirs les plus profonds et les plus obscurs. Elle est ainsi une critique de la rationalité et de la raison, qui ne peuvent pas toujours expliquer les motivations humaines. Le pouvoir de l'imaginaire: Balzac montre comment l'imagination peut façonner notre réalité et influencer nos comportements. La femme chimérique est une création de l'imagination de Marsay, qui prend une vie propre et le domine.
En résumé, la femme chimérique dans "La Fille aux yeux d'or" est un personnage complexe et multiforme, qui permet à Balzac de porter un regard critique sur la société de son temps. Elle incarne à la fois l'inaccessible, le fantasme, l'hypocrisie et l'inconscient. En tant que telle, elle reste une figure emblématique de la littérature française et continue de fasciner les lecteurs par sa dimension universelle.
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