Marceline Desbordes-Valmore, une icône oubliée de la poésie romantique

Portrait de Madeleine Desbordes-Valmore par son oncle Constant Joseph Desbordes, conservé au musée de Douai

La vie tourmentée d'une poétesse romantique

Si l'on considère souvent le XIXe siècle comme le Grand Siècle du roman, c'est avant tout parce que les schémas de reconnaissance et d'acquisition de position dominante dans le champ littéraire se fait dorénavant à travers une écriture en prose, contrairement au XVIe et XVIIe siècle, où les poètes tels Ronsard ou Agrippa d'Aubigné, tenaient leur position d'une poésie versifiée. Malgré tout, considérer le XIXe siècle comme le moment historique d'une voie unique de la littérature serait méconnaître des mouvements et des explorations stylistiques, qui ont bouleversé à la fois l'esthétique et la rhétorique de l'écriture. De plus, il faut remarquer que de nombreux auteurs ont pratiqué une écriture hybride, mêlant prose et poésie. Victor Hugo, n'a jamais cessé de pratiquer une poésie souvent militante, reflet de son rejet des tentatives autoritaires de Napoléon III. René de Chateaubriand, à la fois auteur de René, Lettre sur la campagne romaine, Atala,  s’essaie à une poésie  idyllique. Alfred de Musset passe d'une poésie lyrique à des œuvres, drames (On ne badine pas avec l’amour) et romans confondus (Lorenzaccio),  aux motivations autobiographiques.

Mais certaines contributions à l'édification de la littérature du XIXe  siècle jouent doublement de l'exception de minorité.  Marceline Desbordes-Valmore, à la fois femme et poétesse romantique, symbolise la richesse et la variété du lyrisme romantique. Son nom, qui n'est pas passé à la postérité, montre d'évidence qu'il existe, à côté des grands maîtres qui les ont éclipsé par leurs dons prestigieux, une pléiade de poètes mineurs riches de talent et de sensibilité.

L'influence végetaliste et régionaliste

Né en 1887 et décédé en 1859, Marceline Desbordes construit  une œuvre intimiste, miroir de ses émotions et de sa sensibilité. En effet, les aléas de la vie ont fracturé un destin terrible: difficultés matérielles, peine de cœur (amoureuse d'un homme de lettres, Henri de Latouche, elle épouse néanmoins l'acteur Valmore);  difficulté matérielle de la vie de bohème; perte de 4 enfants; rien ne lui fut épargné. La poésie lyrique sera sa grande consolatrice, empreinte de mélancolie, dans une forme de catharsis compensatoire.

Capable d’élans végétalistes,  comme souvent chez les poètes romantiques, sa poésie féminine recueille l'admiration des romantiques sensibles à ses accents tendres ou passionnés, tandis qu’ elle suscite aussi l'admiration des poètes symbolistes, pourtant rarement attendris par les atermoiements du cœur, qui admirent néanmoins dans ses vers l'absence de toute rhétorique, la fraîcheur des sentiments et des images, et la délicate musicalité du rythme.

 O champs paternels hérissés de charmilles

 Où glisse le soir des flots de jeunes filles

 O frais pâturage ou de limpides eaux

 Font bondir la chèvre et chanter les roseaux

Incarnation novatrice du végétalisme et du régionalisme, qui plus tard alimenteront la poésie des poètes de l'école de Rochefort, on trouve chez Marceline Desbordes-Valmore une vraie et vive tendresse pour le pays natal. 

Des thématiques féminines au cœur de son œuvre

Le  débat reste ouvert d'une écriture proprement féminine, à un moment où les auteurs réalistes placent la famille et l'enfant au centre des observations et de la représentation théorique. Marceline Desbordes-Valmore, contrairement à beaucoup de ses contemporains masculins, explore des thèmes liés à l’expérience féminine, comme la maternité, la perte d’un enfant ou les souffrances liées à la condition des femmes au XIXᵉ siècle. Sa poésie, qui pourtant émane aussi de l’expérience du réel, est connue pour l’intensité émotionnelle de ses poèmes, qui expriment souvent des sentiments de douleur, de regret, d’amour et de mélancolie. Sa poésie est marquée par une sincérité touchante, ce qui lui confère une grande modernité. Sainte-Beuve admire la sensibilité intime et profonde de la poétesse, ses beaux élans de passion désolée. Parmi les poètes du XIXe siècle méconnus, elle reçoit néanmoins les suffrages des poètes en renom, Lamartine, Vigny, Hugo, jusqu'à Baudelaire. Voix unique et profondément intime, elle se révèle avec une sincérité touchante, sans fard, ce qui lui confère une grande modernité et anticipe les écritures féminines testimoniales du XXe siècle.

Allez cueillir des jours libres et triomphants ;

    Moi, je bénis les miens vous êtes mes enfants !

    Le mortel le plus humble est fier de son ouvrage :

    Combien ce tendre orgueil m’a donné de courage !

    Oh ! que de fois, sensible et vaine tour à tour,

    J’ai pensé qu’une reine envierait ma fortune !



    Et je plaignais la reine en sa gloire importune :

    Elle est à plaindre ; elle a d’autres soins que l’amour.

 

    Sur son enfant qui dort ces grilles formidables,

    Ces gardes sans sommeil, à l’œil toujours ouvert,

        Ces hommes habillés de fer,

    Disent que les palais sont des lieux redoutables.

    Ses baisers maternels par jour lui sont comptés ;

    Jamais sans des témoins son cœur ne se déploie ;

    Et tous ses mouvements de tristesse et de joie

    Sous son manteau de reine expirent arrêtés.

    Elle n’a que ses yeux pour répandre son âme,

    Pour caresser l’objet de ses pures douleurs ;

        Son enfant l’appelle "Madame !"

        Et Dieu seul voit tomber ses pleurs.

Un style unique : entre mélancolie et musicalité

Ses poèmes sont empreints d’une grande musicalité . Notablement éloignée d’une poésie métaphorique ou de l’obscurité des explorations mallarméennes, elle privilégie souvent des rythmes simples, une langue fluide et des sonorités douces qui évoquent des mélodies, ce qui contribue à leur caractère chantant. Ce style est en partie lié à ses débuts comme chanteuse et actrice. Âme mystique, meurtrie par les souffrances toujours recommencées,  elle trouve dans la foi réconfort et espérance.

Le Livre des Mères et des Enfants, recueil de poèmes et de courtes histoires, conjugue les propositions éducatives à portée didactiques et les thèmes chers à la poétesse, spiritualité qui mêle des élans mystiques et des interrogations sur la foi. Elle exprime une vision du monde empreinte d'humilité et de résignation devant la souffrance humaine, tout en cherchant une forme de consolation divine. Destiné aux enfants, le recueil propose une vision nouvelle des relations familiales qui met en avant l'amour rempli d’abnégation des mères, loin de la prédominance des pater familias.

Un précurseur inattendu des écritures moderne

Marceline Desbordes-Valmore a réussi à faire éditer une demi-douzaine de volume : Elégies et poésies nouvelles 1825; Poésies 1830; Les Pleurs 1833,  Pauvres fleurs 1839;  Bouquets et  prières 1843,  y compris un choix de poème précédé d'une longue introduction de Sainte-Beuve en 1842 et, en outre, plusieurs recueils de contes en prose. Malgré cette vie prolifique et cette reconnaissance immédiate, Marceline s’éteint, presque seule, presque oubliée, dans son petit appartement de la rue de Rivoli. Première en date des incarnations féminines du romantisme, et notre plus géniale poétesse depuis Louise Labé,  elle réalise, malgré la linéarité de son écriture, une œuvre de novateur. Précurseuse inattendue des maîtres de notre poésie moderne, on lui doit l'invention de plus d'un rythme, celui de onze syllabes notamment et la genèse des Romances sans paroles ,de Paul Verlaine, lui doit beaucoup. Elle qui a débuté sur les planches,  poussée pas la misère, soi-disant ignorante, elle se désole de ne  pas avoir été à l’école : “J'aurais adoré l'étude des poètes et de la poésie point, il a fallu me contenter d'y rêver, comme à tous les biens de ce monde”. 

La modestie l’aveugle : elle était une savante méconnue d'elle-même. De plus, elle fut la marraine indiscutable de toutes nos muses de la fin du siècle comme Anna  de Noailles.

 

Emmanuelle Lecomte

 

Liens :

Wikipédia Madeleine Desbordes-Valmore : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marceline_Desbordes-Valmore

Wikisource Pauvres fleurs : https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Desbordes-Valmore_-_Pauvres_fleurs,_1839.pdf

 

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